Avec l'équivalent d'une quinzaine de kilotonnes de TNT, l'énergie libérée, le 6 août 1945, par la bombe atomique américaine larguée au-dessus de la ville japonaise de Hiroshima est devenue une sorte d'unité moderne de la catastrophe, de la dévastation, de la puissance de destruction. Imaginez donc la bombe de Hiroshima. Vous multipliez par un peu plus de 3 000 et vous obtenez 50 mégatonnes de TNT, l'énergie dégagée par l'explosion en 1961 de la soviétique Tsar Bomba, la plus grosse bombe atomique jamais testée par l'homme. Et si, maintenant, vous multipliez cette valeur déjà énorme par 2 millions, vous arrivez à 100 tératonnes de TNT, une grandeur qui ne dira plus rien à personne – plus de 6 milliards de fois la bombe de Hiroshima. C'est l'estimation de l'énergie libérée lors de la collision, il y a 66 millions d'années, entre un astéroïde et la Terre.
Le chiffre est phénoménal et l'événement célèbre pour avoir causé la fin des dinosaures, oiseaux exceptés. Et pourtant, puisque l'on parle d'oiseaux, cette collision était de la roupie de sansonnet, de la gnognote, par rapport à d'autres télescopages, plus anciens, comme les deux cataclysmes que vient d'évoquer un duo de chercheurs américains, Donald Lowe et Gary Byerly, dans une étude publiée le 7 mai par la revue Geology.
Pour bien comprendre leur travail, un petit retour dans la prime jeunesse de notre planète n'est pas superflu. La Terre s'est formée il y a un peu plus de 4,5 milliards d'années. Environ 400 millions d'années plus tard, les astronomes pensent qu'elle a subi ce qu'ils appellent le Grand Bombardement tardif (GBT). Déduit de l'étude des roches lunaires, cet hypothétique événement aurait consisté en une pluie d'astéroïdes imposants, expulsés de leurs orbites lointaines par les grosses planètes gazeuses du Système solaire. Pendant environ 300 millions d'années, les collisions se seraient enchaînées mais la Terre, avec le remodelage constant de sa surface, que ce soit par l'érosion ou la tectonique des plaques, n'en a pas gardé trace. Les spécialistes estiment qu'il y a 3,8 milliards d'années, le Grand Bombardement tardif a pris fin, ce qui a permis ensuite à la vie de se développer sur notre planète. Mais, comme l'expliquent Donald Lowe et Gary Byerly, cette date ne marque pas une fin abrupte pour le GBT : quelques soubresauts ont encore eu lieu au cours des centaines de millions d'années qui ont suivi et, cette fois, la Terre en conserve de fort discrets stigmates, que ces deux géologues sont allés dénicher dans de très anciennes roches sud-africaines.
D. Lowe
Minuscules billes de roche. © D. Lowe.
A qui sait les lire, ces terrains décrivent au total huit collisions, que l'on détecte aux éjecta, c'est-à-dire aux matériaux rocheux qui ont, comme on peut le voir sur la vue d'artiste qui ouvre ce billet, été éjectés dans l'atmosphère sous l'impact de l'astéroïde. Parmi ces huit épisodes, deux ont particulièrement intéressé nos géologues américains, en raison de leur violence inouïe. Les indices ? Purement sibyllins pour le commun des mortels, ils disent une histoire incroyable quand on les décrypte. On a, tout d'abord, ainsi que le montre la photo ci-dessus, de minuscules billes. On dirait de gros grains de sables mais il s'agit de tout autre chose... Deuxième indice, une croûte carbonée. Troisième et dernier indice, caché cette fois sous les petites billes : une roche parfois fracturée.
Voici l'histoire que ces éléments racontent. La collision avec ces deux astéroïdes que la Terre a eu le malheur de croiser il y a respectivement 3,23 et 3,29 milliards d'années a été si violente qu'une partie des roches ont été purement et simplement vaporisées, transformées en nuages ! Ces vapeurs se sont ensuite rapidement condensées et il a donc plu des sphérules de pierre un peu partout à la surface de la Terre. Dans les océans de l'époque, où les roches étudiées se sont formées, ces billes se sont déposées mais, par endroits, elles ne sont pas longtemps restées sous l'eau. Les deux autres indices disent en effet, chacun à sa façon, que la couche supérieure des océans a ensuite momentanément disparu, tout simplement parce que, en raison de la chaleur intense régnant à la surface de notre planète après l'impact, les mers bouillaient et s'évaporaient ! La croûte carbonée mentionnée plus haut est probablement ce qui est resté des stromatolithes, ces roches créées par des colonies de bactéries, lesquelles constituaient le vivant de cette époque reculée.
Quant au dernier indice, ces sédiments antérieurs au cataclysme, leur fracturation est sans doute la conséquence indirecte de l'évaporation partielle de l'océan. Selon les auteurs de l'étude, le niveau des mers a temporairement chuté de plusieurs dizaines de mètres, exposant par endroits les fonds à une atmosphère surchauffée. Si les sédiments qui s'y trouvaient ont été brisés, c'est parce l'ébullition subite de l'eau qui y était infiltrée les a fait "craquer". L'étude explique que, pour créer tous ces phénomènes, les deux astéroïdes devaient mesurer entre 20 et 100 kilomètres de diamètre et que, après la collision, l'atmosphère de la planète est restée à plus de 500°C pendant quelques semaines et au-dessus du point d'ébullition de l'eau durant plus d'un an. Si la vie a perduré malgré les conditions dantesques de ce scénario d'apocalypse, c'est évidemment parce que les bactéries qui la constituaient étaient à l'abri dans les eaux océaniques plus profondes. Reste à déterminer si ces événements extrêmes ont influé sur l'évolution du vivant, tout comme, en effaçant les dinosaures non-aviens de la surface de la planète, l'astéroïde tombé sur Terre il y a 66 millions d'années a permis l'expansion des mammifères.
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