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mercredi 24 juin 2015

Vieillir est-il une maladie ?


Si elle n'avait pas été détectée par les radars de la revue Nature, la rencontre qui va se dérouler ce mercredi 24 juin entre une équipe médicale et la Food and Drug Administration (FDA, l'agence américaine des produits alimentaires et des médicaments) aurait pu passer inaperçue. Pourtant, ce qui va se discuter là est un changement de paradigme pour la médecine – et éventuellement la philosophie... – qui pourrait avoir d'importantes conséquences pour l'industrie pharmaceutique. Pour résumer l'enjeu en une phrase, ces chercheurs vont tenter de convaincre la FDA que vieillir est une maladie. Concrètement, que va-t-il se passer ? Cette équipe, emmenée par Nir Barzilai, directeur de l'Institut de recherche sur le vieillissement de l'Albert Einstein College of Medicine (New York), présentera le projet TAME, mot dont le sens premier est "domestiquer" ou "dresser", mais qui est ici l'acronyme de Targeting Aging with Metformin, c'est-à-dire "Ciblage du vieillissement avec la metformine". Cette dernière est à l'origine une molécule couramment utilisée contre le diabète de type 2, qui a pour but de faire baisser, chez les personnes qui souffrent de cette pathologie, la résistance anormale de leur organisme à l'insuline. Mais elle a également fait preuve d'autres propriétés étonnantes, notamment sur des modèles animaux. Une équipe russe a ainsi montré dans plusieurs études que la metformine ralentissait le vieillissement et prolongeait la vie chez des souris. Le même genre de résultat a aussi été obtenu avec le petit ver Caenorhabditis elegans, qui est un organisme modèle en biologie. Nir Barzilai et ses collègues s'appuient aussi sur une étude statistique britannique au long cours, publiée en 2014 par la revue Diabetes, Obesity and Metabolism et qui a impliqué plus de 180 000 personnes. La moitié de cette grosse cohorte était constituée de diabétiques de type 2 dont certains prenaient de la metformine et d'autres un traitement différent, tandis que les quelque 90 000 autres sujets étaient des non-diabétiques, servant de groupe témoin. Non seulement, les diabétiques sous metformine avaient une espérance de vie supérieure aux personnes prenant l'autre traitement, mais ils vivaient aussi, en moyenne, plus longtemps que les sujets non diabétiques ! Même si l'on ne sait pas exactement comment la metformine réalise cet exploit, on suppose qu'elle s'attaque à certaines molécules produites par les cellules sénescentes. Il a aussi été montré qu'elle avait des propriétés antitumorales. Le projet TAME, s'il est mené à bien, consistera à donner de la metformine à 3 000 personnes âgées (non atteintes de diabète de type 2) pendant cinq à sept ans. Les sujets choisis auront au moins une pathologie liée à l'âge (cancer, maladie cardio-vasculaire ou problème cognitif) ou bien feront partie d'une population à risques. Pour les chercheurs qui défendent cet essai, la metformine, en plus des résultats déjà obtenus, est une molécule dotée de plusieurs atouts car il s'agit d'un médicament générique peu cher, bien connu, dont les effets secondaires sont faibles. Comme on le comprend bien, la philosophie de ce projet consiste à considérer que le vieillissement n'est pas une simple usure biologique consubstantielle à la vie mais bel et bien une affection, un problème de santé. Pour reprendre l'image un peu osée avancée par mon homologue américain Greg Fish sur son blog "Weird Things", on peut voir le grand âge comme une sorte de sida : "Si on ne le soigne pas, il ne nous tuera pas lui-même, mais il ouvrira suffisamment de portes pour que quelque chose entre et fasse le sale boulot." L'idée de TAME consiste donc à cibler directement le vieillissement et non plus les maladies qu'il finit par provoquer. A attaquer le mal à la racine afin non pas de découvrir le secret de la vie éternelle, mais, étant donné l'allongement de l'espérance de vie, de vivre en bonne santé plus longtemps. Sinon, comme l'a expliqué au Wall Street Journal un des membres du projet, Stuart Jay Olshansky (université de l'Illinois), on continuera à s'attaquer séparément aux maladies qui apparaissent avec l'âge, combat vain s'apparentant au remplissage du tonneau des Danaïdes : " Quand nous réduisons le risque d'avoir une maladie du cœur, on vit assez longtemps pour avoir un cancer. Si nous réduisons le risque d'avoir un cancer, on vit assez longtemps pour avoir la maladie d'Alzheimer. Nous suggérons que le temps est venu pour attaquer toutes ces maladies en s'en prenant au processus biologique du vieillissement." Au-delà de l'idée, intéressante sur le plan physiologique, qui consiste à prendre la sénescence comme une sorte de virus déclencheur de maladies, d'autres considérations, autrement plus matérialistes, se cachent derrière le projet TAME et cette rencontre du 24 juin avec la FDA. Jusqu'à présent, celle-ci n'a jamais considéré le vieillissement comme une "indication" au sens médical du mot, c'est-à-dire comme une pathologie ou le signe d'une altération de la santé. Or, comme l'explique en toute franchise Nir Barzilai, "les compagnies pharmaceutiques ne développeront pas de médicaments n'ayant pas d'indication" officielle de la FDA, car c'est une condition sine qua non pour obtenir le remboursement des traitements par les assurances santé. Comme s'il devait toujours y avoir, en médecine, un moment où les histoires de gros sous rattrapent la recherche... "Nous sommes confiants dans le fait qu'une fois que la FDA se montrera prête à considérer le vieillissement comme une indication, des médicaments plus nombreux et plus efficaces [que la metformine] seront rapidement développés", ajoute Nir Barzilai. On se doute bien qu'avec un marché potentiel de 7,3 milliards de Terriens, l'industrie pharmaceutique sera intéressée. Cela devrait aussi permettre à l'essai TAME, dont le budget s'élève à 50 millions de dollars, de trouver plus facilement des fonds... source: passeurdesciences.blog.lemonde

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